Aurélien “Chanee”, et l’amour des gibbons

Chanee, c’est Aurélien Brulé, un Français qui est parti seul à 17 ans se battre pour protéger les gibbons en Indonésie. Chanee signifie tout simplement “gibbon” en thaï. (Indonesia Expat)
Aurélien semble faire partie des personnes qui ont un destin tout tracé. Qui comme moi, éprouve une passion et un attachement hors normes pour les animaux.
A 13 ans, il est embauché dans un zoo, et s’adonne à l’observation minutieuse des gibbons à mains blanches, des petits singes arboricoles menacés d’extinction. Sa passion pour les animaux fait de lui un “outcast” au collège, “le gamin un peu étrange” comme il le raconte dans un documentaire. Pendant que ses amis jouent au foot, il passe des heures à observer les animaux. Isolé par sa passion, un jour d’hiver et de coup de blues, il s’assoit près de la cage des gibbons. Une femelle grelottante, appelée Washoe, s’est alors approchée de lui, lui a pris la main et l’a serrée.
Réconforté mais aussi bouleversé par cet acte de tendresse, le jeune ado lui fait alors une promesse : “Tu as été là pour moi. Je vais tout faire pour t’aider toi, et tous les autres gibbons”. Naît alors, au-delà du centre d’intérêt, une passion totale mais aussi une envie de se battre pour ces animaux en particulier. Il les étudie pendant des heures, et se lance dans l’écriture d’un livre. A 16 ans, il publie Le gibbon à mains blanches, qui suscite la curiosité des ethologues, intrigués de voir un lycéen se passionner et s’instruire autant sur une espèce peu documentée… au point de devenir une référence pour les scientifiques.
Son histoire intrigue les journalistes, et un article tombe dans les mains de la comédienne et humoriste Muriel Robin. Oui, LA Muriel Robin, celle qui nous fait hurler de rire, est passionnée par les animaux. Emerveillée par ce bout de mec qui construit son destin et a choisi si jeune de se dévouer aux animaux, elle décide de financer son voyage et son installation à Bornéo, pour étudier les gibbons dans leur milieu naturel, en Thaïlande.
C’est sur place qu’il découvre les destructions des habitats sauvages de ses animaux préférés, due à la déforestation pour la plantation des palmiers à huile. Les gibbons sont non seulement victimes de la destruction de leur habitat, mais aussi du trafic de bébés gibbons, de vraies peluches que les gens adoptent comme animaux de compagnie. Les gibbons sont maltraités, attachés et exhibés aux touristes, et tués ou abandonnés lorsqu’ils deviennent adolescents, et moins câlins…
Il décide alors de s’installer à Bornéo, en Indonésie. Il y fonde l’association Kalaweit (“gibbon” en Indonésien) qui se consacre à la protection des animaux chassés de leur espace naturel. Le gouvernement indonésien lui donne l’autorisation de créer une structure d’accueil à Bornéo pour récupérer, soigner et sauvegarder les gibbons issus de trafics. Il développe ensuite la même structure en 2003 sur l’île de Sumatra. L’association est financée par les dons qui permettent aux deux centres d’accueil et de soins de recueillir dans les meilleures conditions possibles plusieurs centaines d’animaux. Ce sont principalement des gibbons et des siamangs, mais il décide de recueillir toutes les autres espèces en danger : ours des cocotiers, crocodiles, macaques…
Il crée également un radio locale, Kalaweit FM, où il diffuse de la musique pour les ados, mais aussi et surtout son message et explique son combat aux Indonésiens. Certains locaux appellent le standard de la radio pour dénoncer des propriétaires de gibbons, des maltraitances, des animaux blessés ou abandonnés. Kalaweit FM est devenue très populaire à Bornéo.
Pour préserver leur espace naturel, Chanee a l’excellente idée d’acheter, via son association, des parcelles de forêt à Bornéo et Sumatra, qu’il transforme en réserves, offrant ainsi à la faune sauvage un habitat sécurisé. Kalaweit possède en 2017 plus de 440 hectares de forêt et emploie une soixantaine de personnes en Indonésie.
Pour populariser son combat et récolter des fonds, il publie d’autres livres sur les animaux, sur sa vie en Indonésie et les conditions de vie des gibbons qui, incapables de s’adapter aux changements dans leur milieu naturel, meurent dès que leur territoire est détruit par un incendie. Mais son combat n’est pas consacré qu’à la sauvegarde des animaux sauvages. À travers son association, et avec le soutien des autres ONG présentes sur place, il dénonce le rôle des propriétaires de palmeraies, qui détruisent l’écosystème indonésien pour produire de plus en plus d’huile de palme.
Son combat contre les industriels lui vaut des menaces et des ennemis. Comme toujours lorsque la défense animale entre en conflit avec le gain financier. En novembre 2015, il publie une vidéo dans laquelle il interpelle directement le président d’Indonésie, Joko Widodo, au sujet des feux de forêt qui sévissent en Indonésie. Détruisant des centaines de milliers d’hectares de forêt chaque année, ces incendies sont destinés à préparer les concessions de palmeraies. Tous les ans, ils plongent une partie de l’Indonésie dans un brouillard de fumées toxiques pour la population et la faune. La vidéo devient virale : vue plus de 800 000 fois sur les réseaux sociaux, elle est alors diffusée par toutes les chaînes de télévision indonésienne. Chanee est reçu au ministère de l’Environnement.
Ce Français, venu de si loin, est l’un des premiers à pointer du doigt la responsabilité directe de l’industrie de l’huile de palme, entrant ainsi en lutte frontale avec le lobby de cette industrie.
France 3 consacre un documentaire au combat de Chanee en janvier 2016 : Le Messager : Véronique Jeannot sur la terre des gibbons.
Au-delà de la récupération, de la sauvegarde et de la réintroduction des gibbons, Chanee continue sans relâche son action pour sauver les espèces locales, dont la survie est rendue précaire par la fragilité de leur environnement. Il parle couramment malais, a fondé une famille sur place, et est devenu Indonésien : sa vie et son combat sont bien à Bornéo et Sumatra.
Chanee a l’intelligence d’utiliser les médias, sa notoriété, mais aussi celles de stars comme Muriel Robin ou Véronique Jeannot. Il anime des émissions de télé dédiée à la protection de la faune sauvage en Indonésie. La BBC lui a consacré une série de 14 épisodes en 2009 et2010. Il accpete volontir de parler de son travail en participant à des émissions et des interviews. Il écrit des livres pour parler des animaux, de son combat, mais aussi de sa vie de combattant pour la protection des animaux, dans Le Nouveau-Né. L’histoire de la naissance de ses jumeaux qui a failli coûter la vie à son épouse, de la mort de l’un d’eux, de la réalité de sa vie au quotidien. Le témoignage humble, réaliste et sans fioritures d’un héros de la biodiversité… Chanee sait que la tâche à laquelle il s’est attelé est énorme. Il sait qu’il sauvera quelques gibbons, des dizaines, des centaines. Mais pas tous…
L’association Kalaweit recoit des dons de la France et de l’étranger, notamment des fondations 30 Millions d’Amis, Brigitte Bardot, Le Pal Nature, mais aussi du parc zoologique d’Amnéville (l’un de mes parcs zoologiques préférés avec Pairi Daiza en Belgique), IPPL ou encore le Silvery Gibbon Project.
Une nouvelle preuve qu’une passion est une force tellement puissante qu’elle peut générer la passion et l’enthousiasme des autres. De nombreux écologistes ont créé des vocations autour d’eux et d’elles juste grâce à la force de leur volonté, de cette force et cette envie, cette foi qui les anime. A l’instar des prophètes ?
Pour en savoir plus, lisez son interview dans Libération
Sources : Animaux / AB Productions / Wikipedia / RFI / Kalaweit / Télé Star / Le Monde